Extraits des lettres du Lieutenant BLANC à sa femme(avec l’aimable autorisation de William Blanc)
Sous-Lieutenant BLANC, ici avec son fils (Photo W. BLANC)
28 janvier 1947 :
… Escale à Djibouti : nous y sommes arrivés vers 07h00 ; cette fois j’avais une permission jusqu’à 22h00 (le bateau devant partir à minuit). Pour commencer, je préférai rester déjeuner à bord et je suis descendu à terre vers 14h00. Une barque nous passait de l’autre côté d’un grand bassin du port et nous déposait sur la jetée. Un soleil de plomb ! Tout le monde était en short, je suis rentré le soir avec un coup de soleil carabiné. A part ça, c’est la saison fraîche… Les barques indigènes sont tout à fait comme les décrit Charles de Monfreid : très curieuses, élancées et élégantes. Une place, des rues sans ombre, une population indigène bien plus sympathique qu’en Afrique du Nord, mais chez laquelle on sent parmi les plus cultivés et les commerçant un début de propagande. Tout un côté de la ville est occupé par la ville indigène : cahutes de paille, sol en terre battue, de planches et de tôles… Les hommes ont un visage très fin, leurs cheveux sont très hauts. Ils se plantent dans les cheveux de petites flèches de bois avec lesquelles ils se curent consciencieusement les dents. Ils portent en principe une longue robe de couleur et quelquefois un petit gilet. Quant aux femmes, elles sont comme les hommes, avec un visage très fin. Elles sont assez grasses alors que les hommes ont des jambes squelettiques. Elles ne portent en principe qu’une robe longue qui les prend sous les aisselles. Hommes et femmes sont pratiquement impossible à photographier, ils croient qu’on leur jette un sort. Pourtant il y a des scènes curieuses : bergers très primitifs, vieillards devant un café maure, femmes à la fontaine ou qui papotent par petits groupes, accroupie au coin des cases ou se faisant dire la bonne aventure par des diseuses. J’ai voulu photographier un groupe des petites filles : elles ont toutes fichu le camp, sauf une qui a fini par se laisser photographier mais qui pour l’occasion, s’est figée au garde-à-vous. Et il a fallu que je paye, par-dessus le marché : cette môme de 4 ans me courais derrière en disant « bakchich ». Quant à la ville française, elle est au bord de la mer et comprend des villas qui paraissent agréable. J’ai oublié de te dire que sur le pont il y avait des requins de taille, au dos beige et au ventre bleu sale qui n’avait rien de catholique
Athos II au départ de Marseille
29 janvier 1947
… Hier après-midi, j’ai dû monter avec des sous-officiers un programme de « close-combat » ( donner un coup de couteau et parade, parade au pistolet, attaquer une sentinelle, étrangler et se dégager d’un étranglement…). Cet après-midi, ce sera la deuxième piqure contre le choléra et cela ne m’enchante pas car la dernière fois, j’ai été malade comme un chien…
30 janvier 1947
Depuis que nous sommes sortis du Golfe d’Aden, nous avons le vent alizé presque dans le nez et je te garantis que ça souffle. On n’entend que le « hou hou » du vent sur le pont. Notre bateau qui est un véritable rocher bouge et il y aura surement des gens mal en point.
31 janvier 1947
Nous sommes à la longitude 67 °. Le temps est lourd et humide. Maintenant c’est la mousson qui souffle, mousson du nord-Est, sèche d’hiver. Elle ralenti considérablement le bateau et nous n’arriverons à Ceylan que le 4 février.
Figure-toi que la guerre n’est pas finie contre les allemands. Certains racontent que des prisonniers enrôlés on ne sait comment dans la Légion Étrangère et envoyés en Indochine sont passés avec armes de l’autre côté Si j’en tiens un au bout de mon Colt, je crois qu’il passera un mauvais quart d’heure…
1er février 1947
Nous sommes à la longitude 66° est. Pour parler français, on s’emmerde et d’une drôle de manière. Il fait toujours chaud et je prévois que sous un tel climat, il faut avoir une sacrée volonté.
J’ai assisté à une conférence sur la méthode de combat en Indochine. De tous les rapports qui nous sont portés en communication, se dégage le paradoxe suivant : « ce n’est pas l’annamite qui est le principal ennemi, mais le pays lui-même avec son climat et ses maladies. Le soldat st en effet gêné dans l’application des règles d’hygiène indispensables à cause de la guerre et de plus il est amené à combattre dans les régions malsaines ». de ce côté, je suis à peu près tranquille, car comme tu le sais, je suis assez robuste.de plus, j’ai pris les piqures régulièrement. Une autre chose que j’ai apprise, c’est que la saison des combats (saison sèche) va bientôt se terminer. Nous risquons donc d’avoir bientôt la décision militaire…
Cet après-midi aussi, j’ai fait du « close combat » avec un sous-officier, coups de couteau et parades ; comme cela se termine toujours par des torsions de bras et de poignet, j’ai le bras en marmelade. Nos gaziers ont l’air de prendre goût à l’affaire, et je crois qu’ils feront bientôt de nœuds avec le premier vietnamien qui leur tombera sous la main.
4 février 1947
Nous Dépassons Ceylan. Un bateau nous croise, c’est la première vie que nous rencontrons depuis que nous avons passé le cap garda fui. On commençait à s’ennuyer. Dans 4 ou 5 jours nous serons à Singapour. Il sera d’ailleurs interdit d’y descendre. Comme cela, il n’y aura pas de bagarres. Nous arriverons en principe le 12 à Saïgon. Je sors à l’instant d’une conférence faite par un colonel ( un peu fossile) sur la géographie physique de l’Indochine. Elle était un peu longue (2h30) mais intéressante. Au point de vue température, il n’y a pas de changement depuis Djibouti. Il fait toujours chaud dans les cabines et dans la salle à mange, mais il y a de l’air sur le pont.
Sur l’Athos II ( Photo 1er RCP)
5 février 1947
Au point de vue position, nous sommes à 86° de longitude Est sur l’itinéraire Sud de Ceylan – passage entre les iles Nicobar et Sumatra. Nous sommes débordés de conférences, de brochures sur l’Indochine et de combat en Indochine. Sur les brochures qu’on nous a distribuées, j’ai lu pas mal de choses curieuses. A savoir qu’on se balade plus facilement en barque qu’en voiture, que les soldats marchant par les rizières ont des sangsues aux pieds et qu’il faut bruler ses sangsues pour leur faire lâcher prise. On passe la journée à lire, à écrire ; moi en particulier, n’ayant pas envie de laisser ma peau là-bas et considérant « qu’un bien averti en vaut au moins 3 ». Dans ces brochures, j’ai lu que le Viet-Minh utilise les femmes comme agents de transmission et qu’à cette occasion, elles cachent les plis dans « leurs endroits les plus intimes » tandis que les hommes les cachent sur les parties. J’ai lu aussi que pour ne pas se faire piquer par les moustiques, il faut rentrer les pantalons dans les chaussettes, baisser les manches de chemise, qu’on ne doit pas boire de l’eau non bouillie sous peine de peste, choléra, dysenterie etc. … etc. … Heureusement qu’on est piqués… Enfin, on doit s’habituer à manger du riz et des fruits, comme tu vois, le menu est varié…

11 février 1947
Nous arrivons demain à Saïgon. Depuis Sumatra, je ne t’ai pas raconté mon voyage. Nous sommes d’abord passé au large de Sumatra ; c’était nouveau et magnifique. Au milieu des montagnes avec des arbres vert sombre immense, il y avait des plantations des prairies avec des bungalows. Puis ce fut Singapour. C’était dimanche, et du bateau où nous sommes restés pendant toute l’escale, on voyait parfaitement les villages malais sous les cocotiers, les villas anglaises… et pour ça, ils se soignent : c’étaient des villas immenses avec de belles baies et des vérandas ; Les anglais se baladaient dans le port sur des vedettes et nous faisaient de grands signes très sympathiques. Ils nous faisaient des signes V de victoire, et de loin pour nous demander si nous étions parachutistes, ils mimaient le parachutiste tirant sur ses suspentes. De belles vedettes passaient avec dedans des officiers, leur femme et leurs enfants. Ils allaient se baigner. C’est la belle vie.
13 février 1947
Nous voilà arrivés à Saïgon.
20 février 1947
Après l’opération faite au Cochinchine, nous montons vers Tourane et Haïphong. Pour le moment il y a un vent du tonnerre et la mer est mauvaise, même très mauvaise. Le bateau bouge et ça dégueule dans tous les coins. L’Aumonier couche maintenant dans notre cabine et il est affalé sur son lit)
21 février 1947
Ça continue de bouger drôlement, de plus en plus de gens sont malades. L’arrivée est prévue à Haïphong le 23 février je crois. Ce qui m’a frappé ici en Indochine, c’est l’amour qui lie les différents membres de la famille. Au cours de l’opération que nous avons faite, nous avons trouvé un indochinois caché avec son petit gosse (1 an) dans une meule de paille. Les ordres supérieurs étaient de rafler tous les hommes et de laisser femmes et enfants. Cet indochinois n’a pas voulu abandonner son gosse tout seul et tout peureux et il était déterminer à se laisser tuer sur place plutôt que de le laisser. Finalement, on les a emmenés tous les deux et il a fait des kilomètres pieds nus portant à la fois notre mortier (20kg) et son gosse. Pris de pitié, un type de l’équipe mortier a fini par lui porter son loupiot.
22 février 1947
11h00 : Nous avons été pris toute la matinée par des conférences. La mer est toujours mauvaise mais nous voyons la côte. Nous ne nous sommes pas arrêtés à Tourane et nous serons demain à Haïphong.
13h00 : du vent à décorner des bœufs, du brouillard et ça bouge, et ça bouge…
27 février 1947, Hanoï
Après un voyage en bateau, bac, camion, nous semblons être arrivés à terme. Nous sommes d’ailleurs dans du « dur, en ville dans un cantonnement qui était autrefois la foire exposition et qui a abrité successivement des japonais, des vietnamiens et des français. D’ailleurs la petite opération que nous avons faite la dernière fois m’a prouvé que le soldat Viet-Minh n’est pas un champion mais un assassin qui n’attaque ou ne résiste que quand il est à 10 ou 20 contre 1.
Récit très enrichissant, permettant de situer dans le contexte d’alors, les débuts de l’acheminement de ce corps expéditionnaire ainsi que le mode de pensée qui prévalait en ce début de guerre d’Indochine
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Le récit m a permis d imaginer mon papa, pour jn fils de geberztilns de paysans, cette arrivée maritime a dû être houleuse. En fait je n ai jamais su s il avait le mal de mer.
En tout cas merci pour cet échange
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